La Médecine d’Urgence telle qu’on la connaît aujourd’hui doit beaucoup à la médecine militaire. Actuellement encore, quelques « unités » militaires font référence en ce qui concerne la médecine préhospitalière (les Sapeurs-Pompiers de Paris et les Marins-Pompiers de Marseille et les Unités d’Intervention de la Sécurité Civile), et nombre de médecins actuellement en fonction dans les SAMU et SMUR y ont appris leur métier.

Un historique détaillé a été effectué par le Médecin des Armées RUTTIMAN, paru dans « Allo 18 ». Nous remercions chaleureusement le Général J. MARTIAL, commandant la Brigade de Sapeurs-Pompiers de Paris de nous avoir fourni cet article :

 

 

En France, les transports sanitaires d'urgence assurés par le SAMU, les SMUR, le service de santé de la Brigade de Sapeurs-Pompiers de Paris (BSPP) sont précoces, rapides, confortables et médicalisés. Ces caractéristiques sans lesquelles l'évacuation n'est qu'un simple transport, parfois même une véritable blessure supplémentaire, sont le fruit d'une évolution qui est indissociable des progrès réalisés par la réanimation militaire à l'occasion de chaque conflit. C'est cette évolution progressive que nous vous proposons de suivre à travers ces périodes marquantes de notre histoire.

 

Antiquité - 1870

De tout temps, le sort des blessés sur le champ de bataille a préoccupé les autorités civiles et militaires. Le souci de les récupérer et de les soigner, procède de deux intentions complémentaires : l'une purement militaire destinée à remettre le blessé en état de combattre, l'autre humanitaire, facteur moral essentiel pour le blessé potentiel qu'est tout combattant.

Déjà dans l'antiquité existait au VIème siècle un corps de cavaliers romains chargés d'évacuer les blessés lors des combats contre les barbares. Les guerres de religion virent la création d'ambulances militaires au rôle identique. Mais il faut attendre deux siècles encore pour voir apparaître la première prise en charge médicalisée du blessé sur le champ de bataille lors des guerres napoléoniennes. Jusque-là en effet, les blessés devaient attendre la fin des engagements avant de recevoir les premiers soins.

Larrey et Percy imaginèrent deux types de voitures médicales transportant du matériel chirurgical et des pansements, mais qui différaient dans leurs fonctions :

- "l'ambulance volante", utilisée par Larrey en 1797 dans l'armée d'Italie, disposait de voitures à chevaux transportant deux à quatre blessés et représentant un moyen d'évacuation relativement confortable vers l'arrière.

- le "Wurst", crée par Percy en 1799 était un caisson d'artillerie permettant d'amener rapidement sur le champ de bataille le chirurgien et ses aides.

La campagne d'Egypte vit des blessés transportés à dos de chameaux dans des nacelles individuelles. Percy imagina également le brancard démontable dont chaque montant était constitué de la lance du brancardier. Ce dernier était également équipé de moyens de soins à l'intérieur de son shako. Plus tard en 1870, eut lieu la première évacuation sanitaire "aérienne" où 160 blessés furent transportés par ballon lors du siège de Paris.

 

1914 - 1918

La grande guerre est à bien des égards, la première guerre que l'on pourrait qualifier de "moderne" quant à l'atrocité des pertes, la puissance des moyens de destruction employés (bombardements d'artillerie, gaz de combats, armes automatiques, lance-flammes) mais heureusement aussi par les techniques médico-chirurgicales de l'époque. L'anesthésie était connue depuis 40 ans, les grandes règles de la chirurgie moderne pratiquées ainsi que l'asepsie. Ce premier conflit mondial provoqua de nombreux progrès, notamment dans la catégorisation des blessés et la création de formations de traitement de l'avant.

La réorganisation du service de santé datait de 1900. Chaque régiment disposait de postes de secours et de véhicules hippomobiles d'évacuation. Des ambulances divisionnaires étaient chargées du recueil et du classement des blessés (on ne parlait pas encore de triage). Des ambulances divisionnaires immobilisées étaient prévues ainsi que des hôpitaux de campagne de 100 lits pour le traitement des blessés graves. Les blessés étaient ensuite évacués par voie ferrée vers les hôpitaux de l'arrière.

Dès le début de la guerre, la brutalité des engagements dépassa les moyens du service de santé qui dut faire face à un afflux massif de blessés. Le soutien santé reposa alors essentiellement sur les médecins de bataillons qui firent parvenir les blessés vers les gares les plus proches d'où ils étaient acheminés vers l'arrière par voie ferrée dans des conditions désastreuses.

La doctrine de l'époque était de pratiquer un déblaiement hâtif de la zone des armées en évacuant tous les blessés à l'exception des "intransportables" au plus loin dans des wagons pour 40 hommes et 8 chevaux, avec un peu de paille, sans commodité ni aucune communication entre les wagons. Les convois mettaient deux, voire 5 jours pour parvenir à destination. Les morts encombrant littéralement les wagons, étaient déchargés en route ou séparés des survivants dans les gares.

Le combat devenant fixe, le problème majeur devint celui du ramassage des blessés entre les lignes provoquant des pertes importantes parmi les brancardiers. Devant les échecs des évacuations de 1914, des ambulances, véritables hôpitaux temporaires, furent alors crées à distance des lignes hors de portée de l'artillerie. Dès 1915, la surcharge de ces ambulances lors de l'afflux massif de blessés nécessita la création de formations de triage où les blessés étaient catégorisés en différents degrés d'urgence, puis évacués par véhicules hippomobiles vers les formations de traitement.

En 1916 furent créées les ambulances chirurgicales mobiles à trois équipes chirurgicales s'implantant selon les circonstances. La Croix-Rouge et de nombreuses initiatives privées multiplièrent hôpitaux et ambulances.

En 1917, l'automobile entra dans le service de santé avec les ambulances chirurgicales automobiles ou « auto chir ». Il s'agissait de petits hôpitaux mobiles, autonomes, munis de salle d'opération, de laboratoire et de salle de radiologie automobile, préfigurant la conception actuelle des shelters. Enfin en 1917, le médecin aide major Chassaing modifia un appareil de combat pour le transport sanitaire, mais celui-ci ne fut jamais utilisé sinon pour des blessés fictifs tant les conditions de transport étaient précaires.

 

L'entre-deux-guerres

C'est l'expérience de la grande guerre qui permit en 1924, grâce au médecin commandant Cot, de voir le régiment de sapeurs-pompiers se doter jusqu'en 1935 du premier service médical d'urgence, au profit des nombreux brûlés et intoxiqués par l'oxyde de carbone du Paris insalubre d'après-guerre : le service de secours aux asphyxiés. Sont apparues alors des notions tout à fait modernes comme la rapidité d'intervention, la médicalisation des soins, avant tout transport, à l'aide de postes de secours mobiles pour asphyxiés, enfin le transport en milieu hospitalier à l'aide d'une voiture automobile spécialement aménagée sous surveillance médicale.

L'entre-deux-guerres vit également le développement de l'aviation sanitaire en liaison avec le service de santé de l'armée de l'Air. De nombreuses évacuations sanitaires furent effectuées en Afrique du Nord et au Proche-Orient. De même, lors de la guerre d'Espagne, l'aviation allemande fit la démonstration des possibilités d'évacuations aériennes massives.

 

1939 - 1945

L'organisation du service de santé à la fin de la grande guerre fut globalement reconduite en 1939. Les moyens d'évacuation primaire étaient représentés par des ambulances automobiles mais il existait encore de nombreux véhicules sanitaires hippomobiles. De plus, deux sections de quinze avions lucioles étaient destinés aux évacuations aériennes dans la zone d'opération de l'Est, mais les conditions climatiques de l'hiver 1939-1940 empêchèrent leur utilisation. Les évacuations vers les hôpitaux de l'arrière devaient se faire par train sanitaire. On s'attendait à une guerre défensive avec des pertes modérées. Rien ne se passa comme prévu et en un mois l'armée française perdit 92 000 tués et 120 000 blessés. Le service de santé fit ce qu'il put au milieu des pires difficultés dues au déplacement permanent des combats, aux liaisons incertaines, à l'encombrement des routes par les réfugiés. La désorganisation des chemins de fer et les coupures de lignes rendirent les évacuations par voie ferrée impossibles.

Plus tard, en 1943-1944, l'équipement en matériel américain de la 1ère armée française répondit avec une grande richesse à la nécessité d'adapter le service de santé français aux impératifs de la guerre moderne : les évacuations se faisaient essentiellement par voie routière dans cette armée entièrement motorisée (on comptait alors un véhicule pour 4 hommes). Ces moyens de transport tout terrain dotés d'appareils de transmission s'avérèrent vite indispensables malgré la lenteur des délais d'évacuation de l'époque (10 heures en moyenne). Néanmoins les évacuations sanitaires aériennes se développèrent. La campagne de Tunisie vit l'utilisation d'une dizaine d'avions sanitaires "Goélands"Ó remplacés plus tard en Afrique du Nord, en Italie puis en France par des DC3Ó capables de transporter 20 blessés couchés. En outre, plus de 26 000 blessés et malades bénéficièrent d'évacuations secondaires en Algérie, essentiellement par voie maritime.

 

Indochine : 1946 - 1954

Dans un pays très étendu de 741 000 km2 couvert à 80% de végétation dense dont 47% de jungle, le service de santé dut adapter à ce conflit de guérilla ses moyens d'évacuation et ses formations de traitement de l'avant dans des conditions d'isolement et de distances très importantes avec l' «  arrière » et la métropole.

Le soutien santé de la guerre d'Indochine, type même de la guerre sans front avec des combats d'embuscade et de points d'appui pesa lourdement sur les épaules des médecins de bataillons aidés dans les grandes opérations par des antennes chirurgicales mobiles ou parachutistes.

Le brancardage, ce classique moyen de ramassage présent sur tous les champs de bataille était parfois le seul moyen d'évacuation possible dans les zones isolées vers un terrain d'atterrissage praticable. La pente abrupte des sentiers montagnards, la chaleur tropicale humide exténuaient en moins de 15 minutes une équipe de porteurs. Chaque civière nécessitait quatre équipes de deux hommes chargés de la protection et du portage.

Le service de santé disposait d'ambulances américaines lourdes mais robustes ainsi que des classiques JeepsÓ porte-brancards. Cependant le réseau routier mal développé, fit que la rivière devint le meilleur moyen de transport avec la création de crabes (blindés amphibies) et de péniches sanitaires qui rendirent de grands services.

La guerre d'Indochine vit se développer également de façon importante les évacuations sanitaires aériennes et notamment le ramassage héliporté : 75 000 blessés furent évacués par air dont 40 000 de façon primaire ; fins de 10 000 l'ont été par hélicoptère dont 9 600 en primaire. A Dien Bien Phu, l'armée de l'air effectuera 2 000 évacuations sanitaires aériennes dont 250 de nuit. 850 blessés furent récupérés et évacués par avion après la bataille.

Dés 1946, le Morane MS 500Ó qui transportait 2 blessés couchés dans des brancards superposés dans l'habitacle, était le seul moyen d'évacuation primaire. Mais il restait tributaire d'une piste d'envol même sommaire nécessitant souvent de longues heures de brancardage. Réclamé dés 1948, l'hélicoptère fit son apparition en 1950. Le Hiller 360Ó petit biplace transportait 2 blessés dans des nacelles extérieures. Il fut remplacé plus tard par des Sikorsky 551 et 555 (H19) Ó à 4 blessés couchés dans la carlingue. Alors que l'hélicoptère était devenu en Corée "la bonne à tout faire" qu'était la JeepÓ en 39-45, le nombre d'appareils présents en Indochine fut toujours très réduit (inférieur à 100). Il leur était impossible de voler de nuit ou par mauvais temps. Leur vulnérabilité était très grande pour une défense antiaérienne même sommaire et il furent retirés des moyens d'évacuation en 1954 à Dien Bien Phu. Les évacuations secondaires furent effectuées par les vieux Junker JU52Ó tri moteur à train fixe emportant 8 blessés couchés puis par le C47 Dakota (DC3) Ó transportant 20 blessés couchés. Malgré les IPSA (futures convoyeuses de l'air) l'absence de pressurisation et les techniques de réanimation débutantes rendaient ces évacuations plutôt héroïques. Plus de 10 000 blessés furent évacués sur la métropole par voie aérienne. Parmi eux soc furent rapatriés après DBP par avion Globe-MastersÓ américains surveillés par une équipe médicale française. Pourtant dans la plupart des cas, les convalescents étaient rapatriés par voie maritime à raison de 5 000 par an.

 

Algérie : 1954-1962

La guerre d'Algérie fournit l'occasion de profiter largement de l'expérience acquise en matière d'EVASAN en Indochine et en Corée ainsi que des progrès de la réanimation des années 50. Les engagements brefs mais souvent très violents provoquaient de graves lésions très délabrantes comme les coups de fusil de chasse à bout portant, alors que l'artillerie était pratiquement absente des combats. Leur pronostic fut néanmoins nettement amélioré par des évacuations aériennes rapides et médicalisées, ainsi que par une chirurgie de guerre classique associée à une réanimation indispensable.

L'évacuation sanitaire en Algérie fit appel largement, malgré quelques réserves au début, à la voie aérienne. Certes, en cas d'indisponibilité technique ou météo, le service de santé disposait des moyens terrestres habituels : ambulances, JeepsÓ , porte-brancards, half-tracks sanitaires. Néanmoins, chaque fois que possible, l'hélicoptère ou l'avion léger permit un transport rapide, atraumatique, d'autant qu'un même brancard était utilisé de la relève à l'hospitalisation.

113 000 EVASAN furent effectuées dont 55 000 primaires, 20 000 secondaires et 36 000 tertiaires sur la métropole dont beaucoup de convalescents assis parmi ces derniers. L'hélicoptère fit la démonstration de son efficacité avec 50 000 EVASAN assurée par des Bell H19Ó , Alouette IIÓ , H21 PiaseckiÓ et surtout H34 SikorskyÓ . Pour les deux premiers, les blessés étaient installés sur un porte civière latéral protégé par une bâche et un cockpit en PlexiglasÓ permettant une surveillance sommaire par le pilote. Les évacuations secondaires étaient effectuées par avion BroussardÓ (2 blessés couchés avec un convoyeur), C47 DakotaÓ (20 blessés couchés) et N2501 Nord-AtlasÓ dont la version sanitaire spécialement étudiée pouvait transporter 18 blessés couchés ou 30 assis. Les progrès de la réanimation respiratoire consécutifs à l'épidémie de poliomyélite des années 50 permirent les premières évacuations aériennes avec des patients perfusés et sous ventilation artificielle pendant le transport. La guerre d'Algérie fut également l'occasion de l'utilisation des techniques modernes de la médecine l'urgence par de nombreux médecins d'active et du contingent qui les appliquèrent à leur retour en métropole aux accidents de circulation et du travail et qui furent donc les précurseurs de la médicalisation du transport d'urgence.

Si le décret ponant la nécessité de doter les centres hospitaliers de moyens mobiles de secours ne date que du 2 décembre 1965, il faut attendre 1967 pour voir apparaître le premier service d'aide médicale d'urgence à Toulouse (Pr Larreng), officialisé le 16 juillet 1968. D'autres expériences sont réalisées avec succès à Nancy (Pr Larcan) et à Montpellier (Pr Serre), mais les premiers transports primaires médicalisés réalisés en région parisienne le sont par la BSPP puisque l'ambulance de réanimation N°1, date de novembre 1967.

A partir de 1972, la création et l'implantation des SAMU départementaux de la région parisienne ont nécessité une restructuration du Service Médicale d’Urgence de la BSPP datant de 1976-1977.

La conception actuelle des ambulances de réanimation de la brigade ou des unités mobiles hospitalières des SAMU repose sur un matériel de réanimation sophistiqué permettant non pas une simple mise en condition d'évacuation mais une véritable réanimation sur place au sein d'une cellule vaste permettant un transport confortable lorsque l'état du patient est stabilisé.

Ces impératifs ont nécessité l'adoption de véhicules de transport médicalisés modernes. Les vieilles cellules Peugeot "J9"Ó qui avaient succédé aux encore plus anciens'"J7"Ó ont été remplacées par un Renault "Master"Ó dont les modifications ont été étudiées par des médecins de la brigade en 1986. La cellule sanitaire de cette nouvelle AR est aussi vaste et aussi bien équipée qu'une chambre de soins intensifs, confirmant ainsi un principe fondamental de la médecine d'urgence moderne où l'hôpital doit se déplacer vers le malade ou le blessé et non l'inverse. En effet, les ambulances de réanimation de la brigade sont dotées, en plus des classiques matériels de perfusion et de ventilation, de scopes défibrillateurs munis de stimulateur externe, de tensiomètre automatique, d'oxymètre de pouls, de respirateur avec alarmes, de pantalon anti-choc, de scialytique et des mini photomètres capables de déterminer le taux d'hématocrite ou d'hémoglobine.

Tout ceci est le résultat d'une longue et profonde évolution à laquelle ont largement participé les médecins militaires que ce soit au combat ou au sein du service médical d'urgence de la BSPP.